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l'empire du milieu de rien
6 novembre 2009

Putes d'antan

Sur le blog des 400 culs
Mais où sont les putes d'antan ?

Filles de joie, pierreuses, lorettes, filles à soldats, marmites, filles publiques, hétaïres, radeuses, catins, péripatéticiennes, horizontales, grues, boucanières, paillasses, morues, gotons, pouffiasses, amazones, professionnelles, filles soumises, tapins, fleurs de macadam, belles de nuit, asphalteuses, marchandes d’amour, turfeuses, ménesses ou gagneuses… La plupart des noms qui désignaient les prostituées ne sont plus en usage de nos jours. On dit “pute”, et voilà tout. Il n’y en a pourtant pas moins qu’avant, peut-être même plus, mais il est devenu si mal vu de s’en “payer” une qu’on préfère passer ça sous silence. Aujourd’hui à Paris, une exposition rend hommage à ces femmes que le tout-Paris fréquentait gaiement jusque dans les années 40, dans des maisons closes de luxe classées par les guides touristiques au rang de “must-see”.

Expo-fev-06 

Le "Chabanais", le "One Two Two", le "Sphinx" et tant d'autres: les maisons closes furent les hauts lieux du Paris de la Belle Époque et des Années folles. Univers de luxe et de volupté, de kitsch et de mondanités, ces maisons reflétaient un art de vivre et d'aimer nourri de tous les désirs et de toutes les excentricités.” La galerie Au Bonheur du Jour (située juste en face de l’illustre N°12 de la rue Chabanais, dont la loi Marthe Richard ferma les portes en 1946) vous invite à “redécouvrir ces mondes disparus, sur le mode d'une promenade coquine et nostalgique dans ces lieux mythiques, dont les somptueux décors faisaient voyager les filles et leurs clients de l'Inde au Japon, de la Chine à Venise. Elle permettra aux collectionneurs et amoureux des maisons d’illusion de découvrir et d'acquérir une collection unique de photographies signées Brassai, André Zucca, Atget, Gaston Paris, Doisneau, etc.

L’exposition dévoile l’intérieur du célèbre bordel du 30 de la rue Lepic (maison spécialisée dans les fessées), du 9 rue de Navarin (très connu pour ses fantaisies sado-masochistes) mais aussi de bordels masculins. Les photos de Tableaux vivants (reconstitutions de scènes érotiques par des prostituées) jouxtent celles de lingeries du fameux catalogue DIANA-SLIP, 1932, destiné aux maisons luxueuses. Des peintures réalisées pour orner les alcôves côtoient des objets inattendus: la canne-cravache du One Two Two portant le nom de la fouetteuse «Flora», une poignée de porte de bordel 1900 en bronze, un heurtoir de maison close pour hommes, une dague de défense, une ceinture de chasteté et une curieuse “visionneuse enfermant des «mirages», ainsi que des cravaches, badines et plaques décoratives en bois sculpté”.

Toutes ces photos, dessins, peintures et curiosités, illustrent la vie quotidienne dans ces maisons, scènes vénéneuses des amours tarifés, mais aussi théâtre d’une vie sociale brillante où le champagne coulait à flots, entre le frou-frou des élégantes et le va-et-vient des messieurs et le ballet des tenancières”. Créatrice de la galerie Au Bonheur du Jour, Nicole Canet fait elle-même figure d’œuvre d’art au milieu de ses collections érotiques. Cette ancienne danseuse de cabaret, reconvertie dans les curiosa, amasse depuis près de 30 ans les témoignages les plus extravagants de la vie sexuelle de nos arrière-grands-parents… Elle adore dévoiler ses trésors. Sa galerie est d’ailleurs aménagée en boudoir. On y entre comme dans un appartement de cocotte, saisi par le parfum qui imbibe les tentures et les toiles, les lourds catalogues reliés et les jolis meubles à bibelots, avec l'impression de faire un bond spatio-temporel en arrière. Ça fait rêver.

Bien malgré elles, les prostituées ont toujours fait rêver. En 2002, Régine Desforge rappelle que leur présence continue de hanter certains quartiers: il y a dans le Marais, “une rue au joli nom bien trompeur, la rue du Petit-Musc, qui en porta un autre avant que la morale bourgeoise ne s’en offusquât. C’était, au XIVe siècle, une petite artère où les prostituées exerçaient leur métier; d’où son nom d’alors, la Pute-y-muse…”. Le nom est joli, mais qu’on ne s’y trompe pas. Il cache une réalité souvent atroce. Les femmes qui se livrent à la prostitution sont –dans leur immense majorité– des esclaves sexuelles privées de tous les droits et contraintes de subir le martyre. “A Rome, rappelle Régine Desforge, les filles publiques portaient une mitre et une toge ouverte sur le devant. Leurs vêtements étaient jaunes, couleur de la honte et de la folie.” Dans l’occident chrétien, la prostituée reste un objet de répulsion.

Même le XIXe siècle, qui donne aux prostituées un statut de quasi-stars (les demi-mondaines deviennent des héroïnes d’opéras et de livres), les maintient cependant au rang de serpillères spermatiques. C’est “le siècle qui a le plus défendu la vertu, la féminité accomplie, et le plus institué la prostitution, avec les maisons closes, explique Bruno Remaury, anthropologue et auteur du Beau sexe faibleLa féminité est toujours vue comme ambivalente: à la fois sublime, accomplie, parfaite; et malsaine, inquiétante, maléfique. Tout homme riche peut entretenir une femme destinée à son plaisir. Il a donc réellement à sa disposition les deux faces de la féminité: l'épouse vertueuse et la courtisane.” A la première échoit la mission de procréer de beaux enfants sains. A la seconde… celle de purger l’homme. “Le XIXe a de l'hérédité une vision primaire: on considère qu'un bandit aura des enfants bandits. Ainsi, la prostitution a du bon, au sens où, comme un évier, elle fait s'écouler les descendances bâtardes et dégénérées.

Voilà donc à quoi servaient les prostituées des bordels. Marthe Richard savait de quel enfer il s’agissait quand elle réclama la fermeture des maisons closes. Ancienne prostituée, avant de devenir conseillère de Paris à la Libération, elle déposa en 1945 un projet de loi prévoyant leur suppression. La loi fut adoptée le 9 avril 1946. Depuis, les femmes/les hommes qui s’adonnent à la prostitution n’ont plus que le trottoir pour lieu de travail. Ou leur clavier d’ordinateur. Avant, enfermées dans des maisons capitonnées, ils/elles faisaient rêver. Maintenant, jeté(e)s par la loi Marthe Richard dans la rue ou sur internet, ce sont des travailleuses du sexe. Leurs conditions de vie sont toujours aussi précaires. Sous prétexte d'améliorer leur sort, la loi n'a fait que les rendre invisibles. Les voilà maintenant vouées à la semi-clandestinité, à l'ombre, à la honte, au déni et au silence. On appelle ça le progrès.

Exposition Maisons Closes, du 28 octobre au 31 janvier 2010.
"Bordels de femmes. Bordels d’hommes. 1860-1946."

 

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